Une gare au fond de l’impasse

Découvrez l’enquête, toute en son et en images de 2 jeunes journalistes, Carole Oudot et Chisato Goya, et différents points de vue sur la Gare Lisch.

Nichée au fond de l’impasse des Carbonnets à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), la gare Lisch achève d’être rongée par les intempéries. Le bâtiment, avec ses dix-sept mètres de haut de ferraille rouillée et ses 1000 m² au sol reste monumental. Une beauté industrielle à l’abandon. Si on le distingue mal depuis l’entrée de l’impasse de Carbonnets, sa masse imposante est en revanche bien visible depuis l’avenue Henri Barbusse, de l’autre côté des voies des trains de banlieue. La proximité des rails et le passage des trains donneraient presque l’illusion que la gare est encore en activité.

Elle est pourtant bien désaffectée depuis la fin des années 1930. Les fenêtres ont disparu depuis longtemps, l’ensemble est rongé par la rouille et un grillage en empêche l’accès. Le terrain sur lequel se dresse la gare en jouxte un autre où la SNCF entasse de grosses bobines de câbles de plastique. Les cheminots s’activent. Un autre transilien passe. La gare donne sur un petit parking résidentiel, devant un immeuble crépi de blanc. Personne n’y prête guère attention. Des petites mosaïques, étoiles blanches au cœur orange sur fond bleu égaient la façade de la gare. Elles rappellent son passé plus glorieux de gare de l’exposition universelle, à l’architecture novatrice, conçue par Juste Lisch, qui a également dessiné la gare Saint-Lazare et la gare de l’avenue Foch, aujourd’hui intégrée au RER C.

Depuis près de soixante-dix ans, la gare Lisch est vide. « Il y a eu beaucoup d’initiatives, de projets, de réflexions. Rien a abouti. Il est temps qu’il y ait un projet qui réunisse tout le monde », lance Pierre Tullin. Cet habitant d’Asnières réside dans un appartement d’où l’on aperçoit presque la silhouette massive de la gare, depuis le balcon. Cela n’a guère d’importance, puisque chez l’ingénieur de profession, les occasions d’observer la gare sont multiples. Gravures, photographies et même un petit film des frères Lumière, le passionné a accumulé des années et des années d’archives sur le sujet. Pierre Tullin a déroulé le fil de son histoire, de sa construction en 1878 jusqu’à aujourd’hui. Depuis bientôt trente ans, il tente de la sauver et de la faire réhabiliter.

Aujourd’hui, deux initiatives ont de nouveau vu le jour. Une question épineuse les divise : faut-il déplacer la gare Lisch ? « C’est un grand débat, poursuit Pierre Tullin. Je pense que si on veut la sauver il faut la déplacer. Il faut totalement démonter le bâtiment pour le restaurer. » D’après le ministère de la Culture, comme le bâtiment est inscrit, « il ne peut être détruit, déplacé ou modifié, même en partie, ni être l’objet d’un travail de restauration ou de réparation, sans l’accord préalable du ministère chargé de la Culture (DRAC). » La mission des différents acteurs sera donc de convaincre la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) que leur projet est le meilleur.

Il y a quelques années, Pierre Tullin rencontre Jean-Pierre Allouard-Carny, membre de l’Association des Amis du Château et du Vieil Asnières, à l’origine de la restauration du château d’Asnières (XVIIIe siècle).

« Nous avons constitué une succursale dévolue au sauvetage de la gare au sein de l’association », explique Jean-Pierre Allouard-Carny. Pour lui, il faut sauver la gare parce qu’elle est « attachante par son histoire. Au lieu de copier l’art gothique ou byzantin, Juste Lisch, peut-être convaincu que c’était temporaire, a créé cette gare en s’éloignant de l’architecture du XIXe siècle. Il a créé quelque chose à lui, en ovni annonciateur. » La succursale dévolue à la gare Lisch a été créée il y a « trois ou quatre ans » au sein de l’association. « Je me suis donné cinq ans maximum. Après je laisse tomber », tranche Jean-Pierre Allouard-Carny. L’association a construit son projet, qui implique le déplacement de la gare Lisch ailleurs pour être restaurée. « Rien n’est commencé à part du lobbying », déplore l’associatif. Ce qui l’énerve le plus, c’est l’absence de réponse. Les échanges avec les élus sont rares et compliqués.

Pour Jean-Pierre Allouard-Carny, tous les ingrédients sont réunis pour mettre en place le projet de l’association. « Notre idée, c’est que la gare Lisch est une gare. Pourquoi ne pas mettre ensemble une gare et des trains ? », avance-t-il. L’association aimerait déplacer le bâtiment au parc des Chanteraines, à Villeneuve-la-Garenne, dans les Hauts-de-Seine. Un parc de plus de 75 hectares, doté d’un lac, d’un poney-club et d’une… voie de chemin de fer. D’une longueur d’environ 5,5 kilomètres, elle est exploitée par l’association du chemin de fer des Chanteraines qui utilise des locomotives diesel ou encore à vapeur. La gare Lisch reverrait donc passer des trains.

« En fait il y a deux projets. Le nôtre, qui semble le plus réalisable et celui de Nicolas Sirot, qui souhaite laisser la gare sur place », ajoute Jean-Pierre Allouard-Carny. Une idée qui est très loin de soulever l’approbation de ce dernier. « Le terrain autour est une friche industrielle. Personne n’investira des millions d’euros pour restaurer un bâtiment dans un environnement pareil. C’est un dépotoir, il y a même des carcasses de voiture », s’exclame-t-il en haussant le ton, un brin agacé.

Pourtant, son idée, Nicolas Sirot s’y accroche. Asnièrois depuis peu, il emménage il y a cinq ans dans un logement dont la vue donne sur la gare Lisch, qui l’intrigue alors beaucoup. En 2009, il se rend à une conférence devant le bâtiment, animée par un certain… Pierre Tullin. « C’était une micro-présentation sur le parking, avec moins d’une dizaine de personnes, se rappelle-t-il. Pierre Tullin et la gare, c’est vraiment une histoire incroyable. » Le bâtiment imposant et déglingué, caché au fond d’une impasse, l’interpelle comme beaucoup d’autres avant lui. « Je me suis dit, il doit certainement y avoir un projet avec cette gare, quelque chose est déjà en route. J’ai pu voir que c’était un nœud administratif complexe », déplore le jeune Asnièrois.

Nicolas Sirot imagine alors un lieu de vie et de rencontres, qui resterait à Asnières. « Il faut un lieu qui profite à tous. Pendant les expositions universelles, des millions de voyageurs sont passés par là, c’est une gare qu’on utilisait pour aller découvrir le monde », complète-t-il. L’entrepreneur a désormais trouvé son idée, son projet pour sauver la gare qu’il baptise « Gare Lisch Renaissance ». Ce sera une cité du voyage dédiée à l’aventure et à l’exploration. Mais la gare Lisch elle-même ne voyagerait donc plus. La démarche de Nicolas Sirot, qui travaille dans la communication, passe par les réseaux sociaux. Très vite, page Facebook, compte Twittercompte Instagram, site Internet, flyers et plaquettes sont créés. Le voisin de la gare Lisch organise quelques événements, conférences, rencontres, apéros… La page Facebook gagne rapidement 700 fans, puis 1 500. « C’est devenu viral. Nous sommes de plus en plus crédibles, suivis », se réjouit-il.

Nicolas Sirot rêve d’un projet financé via le crowdfunding [financement participatif, la plupart du temps par le biais des internautes, NDLR]. Il va faire « parrainer les cm² de la gare. Un euro par cm². On arriverait à 5 millions d’euros et c’est à peu près ce qu’il faut pour redonner à la gare un état décent ». Déplacer ou ne pas déplacer la gare Lisch, difficile de trancher. Une chose est sûre, « il faut stopper l’hémorragie qui court depuis 30 ans », selon le militant qui souhaite le sauvetage de l’ancienne gare du Champs-de-Mars. Avant que celle-ci ne finisse par s’écrouler toute seule.

 

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